Le succès des succès et autres trophées
Il y a fort longtemps, il y avait les dinosaures, la température moyenne en Europe était de 35 degrés toute l'année et la pratique des jeux vidéo était encore assez confidentielle pour que les gamers de l'époque puissent jouer en paix, sans K3v1n, ni grand public, ni journalistes avides de scandales imputés aux jeux vidéo.
En ces temps (pas si) lointains, les machines étaient dédiées à une seule fonction (donc non buguées ni mises à jour tous les quatre matins) et faisaient tourner des jeux mythiques vendus complets qui ne nécessitaient ni patch de 10 Go quinze jours après leurs mises sur le marché, ni DLC ou Season Pass hors de prix pour connaître les tenants et aboutissants d'un scénario pas fini. Bref, c'était le bon temps, sauf pour les gamers qui étaient obligés de rester enfermés dans l'obscurité de leurs cavernes s'ils voulaient survivre (A cause de la chaleur étouffante et du soleil. Les dinosaures avaient autre chose à faire et à manger).
Les années passèrent et ont vu les machines de jeu se succéder. Puis vint la 7ème génération et plus particulièrement la Xbox 360 en 2005. C'est en effet Microsoft qui, le premier, a implémenté un système de Succès sur sa machine via le service Xbox Live. Ces succès permettant aux joueurs de montrer au monde entier (enfin le "monde entier" connecté au Xbox Live) qu'ils roxxent ou qu'ils suxxent sur tel ou tel jeu.
En 2008, Sony a suivi avec sa PS3 et le service PlayStation Network en proposant des succès (renommés "Trophées" pour l'occasion) sur certains jeux puis a généralisé cette fonction à tous les jeux sortis après 2009. J'emploierai d'ailleurs le terme "Trophée" dans la suite de ce billet, car je joue sur PS3 et PSVita ([Troll] Et bientôt sur PS4 quand elle aura autre chose que des remakes et des portages à proposer [/Troll]). Cependant, tout ceci peut s'appliquer à toutes les plates-formes et tous les jeux qui proposent des succès / trophées / achievements / médailles / coupes / récompenses, etc. comme World of Warcraft, TrackMania ou Steam, le service de Valve sur PC.
Autant l'avouer maintenant : je chasse les trophées. Cet "aveu" pourrait sous-entendre que je suis coupable de quelquechose, mais je n'ai pas cette impression. Seulement, beaucoup de joueurs voient dans cette chasse une quête un peu vaine et une perte de temps. Si on ne peut pas leur donner tout à fait tort, jouer sur sa console ou PC n'est-il pas déjà une perte de temps ?
Comme certains "gamers" (notez les guillemets) se contentent d'une partie de temps en temps sans contempler le générique de fin de leurs jeux, d'autres veulent tout faire et tout voir de ces mondes virtuels. Les jeux vidéo ont évolués et se consomment différemment selon les individus et les époques. Avec les trophées, une nouvelle façon de jouer est apparue et pour certains, parvenir à finir un jeu (ce qui me semble bien plus facile qu'il y a 20 ou 30 ans) ne suffit plus et il faut maintenant décrocher le sacro-saint trophée de platine (@K3v1n : on dit un platine et non une platine. "La" platine, c'est pour les DJ) ou les 1000G sur Xbox (360 et One). Je me suis donc posé quelques questions sur cette quête auxquelles je vais tenter de répondre dans les lignes qui suivent. Oui, je me réponds à moi-même... On est plusieurs dans ma tête !
1. Pourquoi ?
Première question que doivent se poser beaucoup de joueurs indifférents aux trophées : pourquoi perdre son temps à vouloir débloquer un maximum de récompenses ? Ma 1ère motivation est d'avoir vraiment fait le tour d'un jeu : complété à 100%, avoir testé toutes les façons de jouer, essayé et parfois dominé les modes de difficulté les plus élevés, etc. Avant l'époque des trophées, je me suis souvent demandé si je n'étais pas passé à côté de quelque chose dans un jeu que je venais de finir, malgré le temps passé à "flâner" dans ces mondes virtuels, à rechercher d'éventuels bonus, de nouvelles quêtes dans un jeu d'aventure, des menus cachés, etc. Avec les trophées, on n'est pas à l'abri de passer à côté de quelque chose, mais la probabilité est quand même plus faible.
En recherchant à débloquer un trophée, on peut aussi être amené à découvrir un jeu sous un nouvel angle. Un exemple parmi d'autres est le jeu Dishonored qui peut se jouer en incarnant un parfait assassin du début à la fin ou un ninja, bondissant de zone d'ombre en zone d'ombre en épargnant tout le monde. Deux façons de jouer, deux trophées. D'aucuns diront que même sans trophée, on peut découvrir plusieurs façons de terminer un jeu. Ce qui n'est pas faux (© Perceval), mais cette motivation supplémentaire peut pousser certains joueurs à ne pas se contenter de finir un jeu en mode flemmard normal. Sans ces trophées, combien de joueurs auraient essayé les deux styles de jeu de Dishonored ?
La troisième raison est le challenge. Certains trophées sont de véritables défis et les débloquer après la frustration et l'énervement générés par des dizaines d'échecs provoque chez le joueur un sentiment de fierté et de dépassement de soi. Certes, le plaisir n'est plus de jouer (quoi que...) mais bien la performance. Et encore, à un certain niveau de difficulté, on ne parle même plus de plaisir. Paradoxal pour un loisir qui, par définition, est censé détendre.
De plus, ça permet d'apprendre (ou de réapprendre) les notions de persévérance et d'humilité. [Vieux con] Et je connais beaucoup de jeunes (je veux tout, tout de suite
) pour qui le mot "persévérance" est plus un concept qu'une vertu et "humilité" : une notion venue d'un autre âge que les moins de 150 ans ne peuvent pas connaître. De toutes façons, ils s'en moquent : il ne savent pas écrire ces mots correctement. [/Vieux con]
Tout ceci apporte une valeur ajoutée à un jeu vidéo qu'on aurait peut-être terminé trop vite avant de le laisser prendre la poussière sur une étagère. Si on considère l'investissement d'environ 60 euros pour un jeu neuf, je pense que ce n'est pas négligeable. Surtout que le critère d'un "jeu à trophées" peut être le plus important pour certains joueurs qui n'achètent que ce type de jeu pour faire gonfler leur nombre de récompenses dans le seul but de frimer sur les réseaux virtuels. Les constructeurs ne s'y sont d'ailleurs pas trompés en rendant obligatoire cette fonction dans tous les jeux sortis ces dernières années. Le résultat ne s'est pas fait attendre : les ventes de jeux vidéo s'en sont trouvées fortement boostées. Ces systèmes de récompenses fidélisent aussi les clients, qui achèteront plus volontiers la machine de la prochaine génération chez le constructeur qui leur a fait commencer leur collection de trophées.
Cela dit, ça permet de découvrir des licences pas forcément très connues mais pourtant d'une grande qualité. L'achat n'est plus motivé seulement par la "valeur sûre" ou la licence AAA, et ce n'est pas plus mal pour les jeux moins connus.
Je prendrais l'exemple de l'excellent Velocity Ultra, un shoot'em up un peu différent de ce qui se fait habituellement. J'avoue que le rapport prix / nombre de trophées possibles m'a décidé à l'acheter pour un poignée d'euros sur le PSN Store. Sans les trophées, je serais certainement passé à côté (Je sais, c'est moche). Et bien ce fut une très bonne surprise : ce jeu m'a littéralement rendu addict. Il n'est pas forcément beau (Kwa ? il é pa HD-1080p-60FPS-a-hologramme-tri-phasé ? J'achaite pa lol
. Ok, merci K3v1n), mais sa jouabilité rapide et nerveuse m'a fait accrocher au concept jusqu'à ce que j'atteigne les 100% de complétion. Cependant, tout ceci peut mener à des comportements extrêmes ou des dérives comme nous allons le voir plus loin.
2. Comment ?
L'arrivée des trophées a permis à toute une communauté de se retrouver. Des sites ont vu le jour et permettent la consultation de guides, rédigés par les utilisateurs (j'en ai d'ailleurs écrit un moi-même), détaillant étape par étape la progression tout au long du jeu (la Roadmap) ainsi que des astuces pour décrocher tous les trophées le plus efficacement possible. Les forums de ces mêmes sites proposent également des topics d'aide pour les fameux trophées en ligne qui, pour une bonne majorité, seraient impossibles à obtenir autrement.
C'est ainsi que, grâce aux trophées, des amitiés virtuelles se créent sur ces forums pour s'entraider. Mais même avec ces aides, certaines récompenses sont quasi impossibles à obtenir, à moins d'avoir une chance incroyable ou du temps à revendre. Mention spéciale aux trophées de certains Guitar Hero, comme le trophée "Ménage à huit" qui nécessite de réunir en ligne 8 joueurs jouant tous du même instrument dans Guitar Hero 5 ou les trophées en ligne de Batman Arkham Origins, qui requièrent - pour les 2/3 d'entre eux - de jouer sur des serveurs complets alors que le online est quasi désert.
Quant on sait que la moitié (minimum) des joueurs en ligne sont des lamers et/ou des noobs, autant dire que l'obtention de certains trophées se fait dans la douleur, à moins de trouver des âmes charitables qui recherchent la même chose que vous. Du coup, on ne joue plus en ligne pour le plaisir de jouer, mais est-ce encore un plaisir quand la plupart des joueurs font chier le monde sur les serveurs ou ne savent tout simplement pas jouer ? Les chasseurs de trophées en ligne s'organisent donc des sessions de boost (pour monter en niveau), ou se forcent à jouer d'une certaine façon pour débloquer les trophées tant convoités.
Mais on touche ici un point sensible : notre façon d'aborder un jeu n'est-elle pas modifiée par les trophées ? Il semblerait que si, car beaucoup de joueurs consultent un guide avant même de mettre le jeu dans la console. On ne prend plus plaisir à découvrir le jeu par nous-même. Les consignes sont énoncées, et on s'efforce de les suivre pour être sûr de ne rien rater dès la première partie, quitte à se spoiler un peu et même a faire des actions répétitives qu'on n'aurait jamais eu l'idée d'entreprendre s'il n'y avait pas un trophée à la clé (Tuer 53 596 infectés dans Prototype, collecter toutes les plumes dans Assassin's Creed 2, utiliser le super sprint sur 250 000 mètres dans Saints Row IV, etc.). Le mieux, suivant son temps libre, étant de faire un premier run sans aucune aide pour le plaisir de la découverte, puis de refaire le jeu pour les trophées manquants.
Mais la surconsommation de jeux (comme les "petits" jeux achetés lors de promotions en ligne ou sur le marché de l'occasion) nous permet-elle encore ce plaisir de découvrir un jeu, si bon soit-il ? Il est en effet dommage de bâcler un AAA attendu depuis des mois juste pour passer à autre chose le plus vite possible ! Mais, c'est d'abord une question de volonté (comme souvent dans les addictions... f***, je parle des trophées comme d'une drogue !). Et perso, j'ai des jeux achetés il y a des mois (car c'étaient des bonnes affaires
) que je n'ai toujours pas commencés car j'aime prendre mon temps. L'avantage, dans mon cas, c'est que j'ai de quoi jouer encore plusieurs mois avant de craquer pour une machine de 8ème génération (La PS4, au hasard...).
3. LIMITES ET DERIVES
En dehors des raisons évoquées plus haut, beaucoup de joueurs n'ont pour seule motivation que leur niveau de trophées (ou Gamerscore chez 'crosoft) qui doit être le plus haut possible pour participer au concours de "Qui a la plus grosse" et ainsi briller sur les forums en affichant leurs cartes de visite trophées en attache de signature, quitte à acheter des jeux médiocres (et faciles comme Hannah Montana The Movie) ou à ne pas finir les jeux pour gagner du temps et amasser un maximum de trophées le plus rapidement possible.
Dans ce cas, leur ratio trophées obtenus/trophées déblocables est au plus bas, mais ce n'est pas leur priorité. Pour certains, c'est même une obsession et tous les moyens sont bons pour faire gonfler leurs collections de récompenses, comme l'utilisation d'un logiciel dédié et la modification en hexadécimal des fichiers de trophées récupérés sur la console. Les jeux sont engloutis, tels de vulgaires hamburgers. Vite joués, vite oubliés (et parfois même, non terminés) : les bons jeux sont gâchés et les autres ont ce qu'ils méritent (est-ce un mal, finalement ?).
Mais il y a pire dans les dérives (si, si !). En 2013, Microsoft commençait à parler de succès liés à la TV pour sa prochaine console (La Xbox One, pour les deux du fond qui se sont endormis). La console est reliée à la box internet, et plus besoin de jouer : les succès se déverrouillent en regardant les programmes toujours plus pathétiques diffusés sur votre écran dernier cri. Associée au système Kinect, la console pouvait même débloquer des succès en fonction de ce vous teniez dans la main ! L'outil parfait pour faire faire (et surtout faire regarder) n'importe quoi à n'importe qui. On n'est pas assez manipulés comme ça, il fallait bien cette idée (de mayrde) pour aller toujours plus loin dans la lobotomisation des masses.
Imaginez le succès Regardez D&CO plus de 3 minutes sans vomir ou Manger une pizza McCain en regardant les Anges de la téléréalité ! Heureusement, on n'en est pas (encore ?) là, mais des petites listes de succès associées à la TV d'Orange ou à Youtube sont disponibles sur Xbox One. Cependant, ils ne rapportent aucun point pour votre Gamerscore. Dommage, K3v1n !
4. CONCLUSION
Peu importe le profil du chasseur de trophées (pour l'exploit personnel ou pour la frime), cette activité reste mal vue par la communauté des gamers. Certains se disent même appartenir à la catégorie Les trophées ? j'OSEF
alors qu'ils sont les premiers à jubiler dès qu'ils entendent le son si caractéristique de la récompense obtenue.
Quand cette quête (qui reste vaine) ne gâche pas le plaisir de jouer et de découvrir un jeu, je ne vois pas en quoi il est réducteur de s'y plonger, du moment qu'on sait rester "humbeule" (©JCVD) et qu'on arrive à avoir une vie normale à côté des jeux vidéo et des trophées.
Là où ça peut devenir problématique, c'est quand l'addiction frappe le gamer. Quand la course aux trophées devient obsessionnelle, le seul plaisir encore présent (si toutefois il reste encore du plaisir) est la satisfaction d'avoir l'une des plus grosses collections de récompenses du net (souvent issues de jeux médiocres et faciles qu'il n'aurait jamais acheté voire de tricherie comme décrite dans ce billet).
Si vous êtes toujours "anti-achievement" après la lecture de ce billet, j'ai un dernier argument qui n'est pas sans importance.
Un des avantages de ces systèmes auquel personne ne pense (ou presque) est qu'avec la surconsommation de jeux (en partie due à la chasse aux trophées), les prix du marché de l'occasion n'ont jamais été aussi bas. Entre 2 et 15 euros en boutique, on peut trouver des dizaines de titres de qualité pour jouer pas cher.
Malheureusement, les différents codes pour les DLC ou le jeu en ligne inclus dans les jeux d'occasion sont souvent utilisés. Les trophées associés sont donc inaccessibles à moins de repasser à la caisse. Ca pourrait d'ailleurs faire le sujet d'un prochain billet ! (Hello, le Network Pass de The Last Of Us à 10 balles pour pouvoir jouer en ligne !)
Je comprends quand même les joueurs qui ne veulent pas se prendre la tête avec les trophées. C'est vrai que ça prend du temps, que ça peut rendre dingue parfois et que la façon de jouer en est transformée (et pas forcément dans le bon sens). D'ailleurs, Il arrive parfois que ma motivation à finir un jeu 5 fois dans tous les modes de difficulté pour obtenir "le platine" soit au plus bas. Bizarrement, la plupart du temps, les jeux concernés sont moyennement intéressants et/ou bien trop longs pour être compatibles avec ma vie de famille.
Y'a pas à dire : les succès ça suxxe et les trophées, j'en ai (vraiment) trop fait. Si vous saignez des yeux en lisant cette phrase, c'est normal
Petit bonus que je ne savais pas où mettre : un des plus grands collectionneurs de trophées du monde (Oui, ses stats sont assez hallucinantes... A croire qu'il n'a vraiment pas de vie, vu le temps que ça prend !) s'en est offert un vrai pour fêter dignement son 500ème trophée de platine. Voilà un objet collector qui saurait trouver sa place dans mon salon !
Crédits photos : La SNES aux couleurs de Secret of Mana vient de Hananas-nl, les médailles de Trackmania Nations est une capture d'une de mes sessions de jeu, les autres images proviennent de Google images, PSNProfiles, Dishonored.com et Youtube.
J'ai réalisé les montages Trophy hacker, D&CO et Mon précieux sous GIMP en m'aidant de l'excellent générateur de trophées et succès achievementgen.com. La pile de jeux PS3 est une photo d'une partie de ma collection, les autres images et photos appartiennent bien sûr à ceux qui les ont créées.